[crédit photo : faris mohammed | unsplash]

Le nudging en question

Pratiquer, critiquer

Écrit par JR Dumas (25 Apr. 2024)

Le nudging ou l’art de structurer des architectures de choix pour inciter doucement les individus à choisir une option jugée meilleure (pour eux, pour le bien commun) : au-delà de cette vision enchantée d’un système de mécanismes cognitifs directifs, et sans renier ses qualités propres, nous proposons de porter sur le nudging un regard critique pour éclairer ses limites pratiques et éthiques.


Les sous-jacents cognitifs du nudging sont démontrés expérimentalement, mais les mettre en oeuvre n’est pas la garantie d’un résultat magique. C’est un ensemble de compromis et de paris ; c’est aussi la marque d’un mode de pensée et d’une éthique de la relation à l’utilisateur, au client, au citoyen.

Les cas d’application sont nombreux, notamment dans le marketing ou l’expérience client, pour guider les comportements, les décisions d'achat ou les usages, mais aussi pour modifier la perception des services ou améliorer l'engagement et la rétention.

Même politiquement, le nudging trouve des applications variées : adoption de comportements écoresponsables, promotion de thèmes sociétaux, augmentation de la participation électorale, voire fluidification des interactions avec l'administration.

Ainsi l’influence de l’influence s’étend à différentes sphères de la société. Le succès du nudging tient à sa formule miracle et à la tension de son principe directeur : le “paternalisme libertarien” [1]. Paternalisme pour la tendance à suggérer une voie bénéfique ; libertarien car le nudging n’interfère pas avec les libertés individuelles — en principe.

Le nudging séduit par sa simplicité apparente, par la forme d’autonomisation qu’il propose et par la rationalité qu’il injecte dans les relations et les décisions. Pour autant, ses limites ne doivent pas être ignorées. Dans la mise en oeuvre d’abord, qui n’a rien d’évident ; dans les résultats, qui ne sont pas systématiques ou immédiats ; et dans l’éthique d’usage, enfin.

La principale critique qu'on lui fait est de relever d'une manipulation dont la transparence est parfois discutable. L'équilibre entre manœuvre cognitive et bonne foi reste délicat et n'est justifié que par le principe du guidage vers le meilleur choix. Entre idéologie et économie, reste à démontrer en quoi et pour qui il est meilleur.

On peut aussi discuter la légitimité d'un acteur économique ou politique à influencer un choix plutôt que l'éclairer, à rebours d'une autonomisation des individus. Le nudging offre rarement la mise en perspective indispensable à l'autonomisation — bien qu'on lui reconnaisse un effet positif dans l'aide à surmonter des obstacles cognitifs à l'action.

Enfin, la rationalité des architectures de choix mène à une forme d'appauvrissement de la pensée critique. En nous éloignant de la réflexion et de l'expérimentation, le nudging à outrance risque de réduire notre liberté à quelques automatismes, et notre rapport au monde à un champ des possibles sur catalogue.

Pour les praticiens du nudging et leurs clients, l'enjeu est donc une transparence accrue, une réflexion éthique préalable et un engagement à laisser respirer les individus.


  1. THALER, Richard, et SUNSTEIN, Cass. Libertarian paternalism. American economic review, 2003, vol.93, no.02, pp.175-179.