[crédit photo : William Daigneault | unsplash]

La santé et la techno-science

Le prisme du transhumanisme

Écrit par JR Dumas (19 Dec. 2023)

La santé n'échappe pas aux discours techno-optimistes : le transhumanisme, qui propose un projet technologique d'évolution de l'humain au-delà de sa condition biologique, influe ainsi sur les discours et représentations. Vecteur d’innovation et d’imaginaire, il dessine une société technicienne progressivement déshumanisée. Comment garder son énergie tout en se gardant de ses excès ?


Le transhumanisme veut dépasser l'indépassable : l'être humain lui-même. Opposant optimisme technologique et bioconservatisme, le sujet est sensible : si les discours transhumanistes ont d'abord relevé de la posture idéologique, la convergence et la maturité des technologies actuelles les placent dans le champ du possible.

On peut, en signe d'ouverture, postuler une filiation humaniste au discours transhumaniste et accepter l'équivalence éthique et technique entre soin et prolongement de la vie [1]. Les discours transhumanistes deviennent alors porteurs d’un certain optimisme, un nouvel élan contre le désenchantement de la société post-moderne.

Prolongeant la pratique des prothèses, certaines perspectives de soin ou d’augmentation deviennent désirables. Reste à accepter l'intégration du soin au corps ainsi transformé, mais aussi à étendre le statut de la médecine de la santé à l’anthropotechnie — l’intervention sur le corps humain sans but médical, dans une optique d’augmentation.

Seulement, le transhumanisme s’inscrit aussi dans un courant de pensée où possible équivaut à souhaitable. Son postulat de départ, bien au-delà des questions de santé, est que le corps humain est par nature diminué, donc indéfiniment perfectible : à l’imaginaire du handicap réparé se substitue celui d’un être hybride, une figure de cyborg aux déficiences sans cesse repoussées [2], sans limites éthiques.

Désirabilité et élan créateur contre amoralité et absence de limites : comment réconcilier la dynamique du transhumanisme et la perspective éthique ?

La vision de la responsabilité par Hans Jonas apporte un élément de réponse [3]. Selon lui, la notion traditionnelle de responsabilité, inscrite par nature dans le présent, n'est plus adaptée à une société dont l'action impacte le futur. Ayant démontré l'impératif indiscutable de protéger toute vie, il propose donc un principe de préservation interdisant toute technologie qui pourrait aboutir à une destruction ou à une dénaturation de l'humanité.

L'enjeu de la réflexion se déplace ainsi vers la compréhension de ce qui nous définit en tant qu'êtres humains avant même de penser une évolution auto-déterminée. Cela dit, l'action et l'appropriation éthiques resteront à imaginer. Passer par la loi ne suffira pas — développement de la pensée critique, ouverture du débat public, éducation : nous avons le choix des armes.


  1. TAÏEB, Emmanuel. Transhumanisme et santé parfaite. Quaderni, 2020, no.01, pp.125-135.

  2. ABRETEL, Alexandre. Corps reconfigurés ou corps augmentés ? Techno-imaginaire de la figure du cyborg chez les personnes en situation de handicap. Quaderni, 2022, no.105, pp.19-34.

  3. JONAS, Hans. Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. Éd. Flammarion (coll. Champs), 1990 (1979).