[crédit photo : jr korpa | unsplash]

L’imaginaire cyberpunk

Aux sources des métavers (1/2)

Écrit par JR Dumas (17 Feb. 2024)

Le Métavers en tant que mot, mais aussi en tant que concept, est issu de la littérature de science-fiction. En cela, il procède d’un vaste mouvement d’interaction entre les imaginaires populaires et les représentations idéologiques des innovations et des technologies. Quelles projections dystopiques viennent donc aujourd’hui nourrir les fantasmes de la sphère techno-économique ?


Le cyberpunk est un courant de la science-fiction qui explore des récits dystopiques sur fond de technologie et d’informatique omniprésentes. Le mot est créé par Bruce Bethke [1] ; les romans de William Gibson, Vernor Vinge ou Bruce Sterling lui donnent ses lettres de noblesse ; et nombres de concepts en sont issus, comme les avatars, le cyberespace [2] ou le Métavers.

Neal Stephenson crée en effet ce terme dans son roman Snow Crash (1992). L’histoire s’inscrit dans une dystopie technologique caractéristique du cyberpunk : un Los Angeles futuriste, morcelé et privatisé qui voit prospérer, comme échappatoire à une société violente, individualiste et inégalitaire, un univers virtuel : le Métavers.

C'est un environnement urbain en trois dimensions simulées, articulé autour d’une avenue gigantesque — un univers géométrique, lumineux et virtuel dans lequel évoluent les avatars [3] des utilisateurs. Nombre d’éléments descriptifs des systèmes d’information du roman anticipent l’Internet actuel (matériel, gouvernance, réseau).

Le cyberpunk baigne la culture populaire des années 1980, et sa vision esthétique et critique va déborder du roman vers le cinéma et le manga. De Tron à Matrix et de Ghost in the Shell à Gunnm, de nombreuses œuvres vont cristalliser un imaginaire esthétique et pratique des mondes virtuels et de leurs possibilités.

Leurs représentations, liées à différentes formes de contestation ou de marginalité informatique, artistique et politique, convergent : le cyberpunk est l’incarnation littéraire d’un phénomène de portée globale, analyse Patrice Flichy [4], et la prédominance des auteurs nord-américains n’est pas étrangère à sa teneur socio-politique [5].

Récupérer des imaginaires pour nourrir une vision et y faire adhérer le plus grand nombre est un procédé documenté dans les phénomènes d’innovation. Reprendre le mot Métavers ne peut être innocent dans cette perspective : la filiation littéraire ancre et influence l’imaginaire cyberpunk, extrayant de la dystopie une utopie partielle.

Jusqu'au choix assumé d’Oculus, alors filiale de Facebook, de distribuer le roman de SF “Ready Player One” à ses salariés (en 2016) : une dystopie pour nourrir leur vision du futur.


  1. Sa nouvelle, Cyberpunk (1980), pose l’archétype du hacker resté associé au genre.

  2. Concept créé par W. Gibson dans Burning Chrome (1982) et Neuromancer (1984).

  3. Snow Crash marque aussi la première occurence dans la littérature SF du mot “avatar” avec son sens informatique actuel.

  4. FLICHY, Patrice. L’imaginaire d’Internet. Éd. La découverte, Coll. Sciences et société, 2001.

  5. MICHAUD, Thomas. La dimension imaginaire de l’innovation — L’influence de la science-fiction sur la construction du cyberespace. Innovations, Éd. De Boeck Supérieur, 2014, no.02, pp.213-233.