[crédit photo : marwan ahmed | unsplash]

De l’utilisateur à l’usage

Le glissement du produit au projet

Écrit par JR Dumas (22 Nov. 2023)

La notion d’expérience utilisateur questionne la notion d’usage. Concept simple aux implications complexes, l’usage relie le projet de l’utilisateur, le produit et la fonction qu’il associe à celui-ci. Que retenir et que déduire de cette relation d’usage dont la dynamique itérative et les faux-semblants peuvent induire le concepteur en erreur ?


L’expérience utilisateur met en lumière l’utilisateur, mais en creux elle questionne évidemment la notion d’usage [1]. Pour comprendre sa construction et son instabilité, sa simplicité apparente et sa complexité cachée, il faut se pencher sur ses composantes. On peut pour cela s’appuyer sur la démarche socio-cognitive de Jacques Perriault [2], qui offre une compréhension limpide et pratique des usages.

La “relation d’usage” repose sur trois éléments qui guident les parcours d’achat et d’utilisation. D’abord, le projet : ce que l’utilisateur envisage de faire. Ensuite, le produit lui-même. Et entre les deux, la fonction que l’utilisateur assigne au produit (dans le projet ou en dehors). Ces trois éléments, si l’objet n’est pas rejeté dans le processus, sont reliés dans une dynamique d’itérations convergentes qui vont aboutir à un état stable, au moins pour un temps, dans l’usage de l’objet.

Qu’en retenir ? Tout simplement que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent : la finalité de l’usage n’est pas l’emploi du produit mais le projet, à la fois utilitaire et symbolique ; le projet de l’utilisateur n’est donc pas forcément envisagé correctement par son inventeur ou son vendeur ; la fonction du produit non plus ; et d’ailleurs l’utilisateur lui-même n’a souvent pas une vision claire de tout cela !

L’étude et la révélation des usages exigent un placement délicat pour arriver à comprendre le projet et sa dynamique d’évolution, entre anticipation (assumée ou pas) et réalisation, entre projection et réalité, entre idéalisation et pragmatisme. Les visées de l’utilisateur peuvent être éloignées de ce qu’imagine le concepteur — et en l’espèce les biais cognitifs sont nombreux et omniprésents, qu’il s’agisse de fausses évidences, de représentations incomprises ou de motivations cachées.

En pratique, cela devrait pousser à interroger les fonctions assignées au produit par l’utilisateur plutôt que son intérêt pour telle ou telle feature, et à accueillir le détournement (i.e. l’usage non prévu) comme fonction sérendipienne de l’objet. Encore faut-il avoir les moyens, la méthodologie et le recul pour maitriser cela.

La réflexion sur l’usage montre la difficulté qu’il y a, au-delà des apparences triviales, à penser et à questionner l’usage, l’utilisateur et l’expérience. Rigueur, méthode et stabilité sont les clés pour parvenir à fixer et suivre les idées : toute improvisation ou tout amateurisme risque de conduire à une vision inutilisable, voire dommageable.


  1. Le terme “usage” recouvre ici à la fois l’usage proprement dit, soit le fait de se servir de quelque chose en vue d’obtenir un effet, et l’utilisation, soit la manière de le faire.

  2. PERRIAULT, Jacques. La logique de l’usage - Essai sur les machines à communiquer. Éd. L’Harmattan, coll. Anthropologie, ethnologie, civilisation, 2008.