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De l'usage au détournement

La logique de l'usage

Écrit par JR Dumas (03 Jan. 2024)

En amont du vécu de l’expérience utilisateur, la relation d’usage associe un produit considéré au projet de l’utilisateur par le biais de la fonction que celui-ci assigne au produit. Comprendre les paramètres et les dynamiques qui mettent en mouvement ce triptyque est une clef essentielle de l’appropriation d’un produit par ses utilisateurs. Mais cela suffit-il à en garantir le succès ?


Cette logique de l’usage, comme la pose Jacques Perriault [1], décrit la construction que l’utilisateur va créer autour de son projet en choisissant un produit et en définissant son mode d’utilisation : il mobilise ainsi un outil d’une manière spécifique pour obtenir un effet. En analysant l’articulation de l’usage sous cette forme, il ressort en première approche cinq facteurs à décrypter, et si possible à maîtriser, pour comprendre ce qui va faire le succès d’un produit.

D’abord, le champ des représentations, en toile de fond, regroupe deux facteurs majeurs de la sélection et du mode d’usage du produit : les représentations de l’utilisateur (soit sa compréhension du produit en fonction de repères culturels et historiques propres), mais aussi la norme sociale de l’usage (soit sa définition commune, mais aussi celle que propose le mode d’emploi comme unique façon de bien faire).

Ensuite, le champ expérientiel joue évidemment un rôle central — à la fois comme ressenti éprouvé et comme accumulation de savoir pratique. Deux facteurs sont à l’oeuvre. D’une part, la construction implicite d’un modèle théorique de l’usage, qui fait évoluer à la fois la compréhension de celui-ci et les représentations de l’utilisateur. D’autre part, la définition progressive d’une place spécifique du produit après des ajustements successifs de l’usage.

Enfin, la construction du projet. Dans le prolongement des autres facteurs, elle associe les raisonnements et les expériences qui mènent à une forme d’usage. Créative et itérative, elle se joue dans un espace et un temps d’interaction socio-cognitive à analyser par l’observation et le questionnement.

La forme d’usage s’étend ici au mésusage : au-delà des prescriptions du mode d’emploi, la logique de l’usage propose des degrés de liberté, et l’utilisateur peut aussi bien recourir à d’autres approches. Substitution, non-usage ou détournement viennent alors répondre aux fameux “besoins” de l’utilisateur.

Les détournements — que l’on cherchera à déceler — transforment l’usage par différentes approches expérientielles : il peut s’agir de modifier le projet, de substituer un autre produit ou bien de n’en conserver qu’une fonction choisie, ou encore d’ajuster l’ensemble par itérations jusqu’à obtenir un équilibre entre les composantes de la relation.

L’articulation entre prescription technicienne et emploi effectif est ainsi la source d’un usage évolutif, ancré à la fois dans les représentations et dans la pratique. Ce sont ces paramètres qui dessinent le contexte à interroger pour les ajuster et essayer de consacrer le succès d’un usage particulier... fût-il éloigné des objectifs de son concepteur.


  1. PERRIAULT, Jacques. La logique de l’usage - Essai sur les machines à communiquer. Éd. L’Harmattan, coll. Anthropologie, ethnologie, civilisation, 2008.