Dans un contexte informationnel dominé par les technologies numériques, l’omniprésence des contenus brefs et viraux a profondément transformé nos habitudes de lecture et d’analyse de l’information. La dégradation des performances en lecture est liée à une diminution de notre capacité d’attention et de compréhension profonde des contenus. Retour sur les conséquences de la fragmentation cognitive.
Les technologies numériques permettent une diffusion de plus en plus rapide et large de l’information, mais elles dispersent aussi notre attention, dégradent notre mémoire et impactent jusqu’aux structures cognitives de la socialisation [1]. L’émotion prend le relais, nourrie de biais de confirmation qui favorisent les bulles informationnelles algorithmiques. On peut se poser la question des effets que cela peut induire en termes d’analyse de données, de construction d’opinion ou de capacité à raisonner et prendre des décisions dans des environnements informationnels complexes.
La domination des contenus brefs et viraux, la popularité des titres accrocheurs et la préférence pour des contenus visuels courts viennent saper un travail de lecture longue, incontournable pour assimiler les notions les plus complexes. Il en résulte une forme de dégradation progressive de nos capacités de lecture et de compréhension profonde [2]. Cette fragmentation cognitive, comme la nomme la journaliste Joan Westenberg), pose des défis critiques pour la société en termes de compréhension des perspectives d’une information, et donc de résilience face à la désinformation économique, politique ou idéologique.
Mais comment lutter contre un phénomène si imbriqué dans nos pratiques en ligne ? L’éducation est bien sûr une clé essentielle, mais à grande échelle sa réforme dépend de décideurs qui n’ont pas grand intérêt à une société éclairée. On pourrait chercher à encourager, au niveau communautaire, les initiatives promouvant la lecture critique et l’éducation aux médias.
Au niveau individuel, il y a des pistes simples, comme auto-limiter l’usage des réseaux sociaux, dont la logique d’efficacité cognitive est à l’opposé d’une lecture riche et profonde et d’un échange étayé et ouvert. Mais cela ne suffirait pas sans un peu d’effort pour maintenir en forme le “muscle” cognitif. Pensons à la recette de Michel Serres : lire chaque jour une page d’un livre un peu difficile, un essai sociologique, historique ou scientifique, par exemple. Une seule page pour reprendre goût à des lectures longues — plus ardues, mais aussi plus enrichissantes — pour susciter et alimenter la réflexion ou le dialogue.
Quelles que soient les solutions explorées, il est vital d’agir pour restaurer des pratiques de lecture et d’analyse critique jusque dans le numérique. En des temps marqués par la polarisation autour de batailles d’opinions assises sur le mensonge, la manipulation ou la caricature, c’est une des clefs de stabilité et d’évolution de la société contemporaine.
FIRTH, Joseph, et al. The ‘online brain’ - How the Internet may be changing our cognition. World Psychiatry, 2019, vol.18, no.2, pp.119-129.
PENG, Ming, et al. Attentional scope is reduced by internet use - A behavior and ERP study. Plos One, 2018, vol.13, no.6.