Le biais d’amorçage

La cognition sous influence

Posted by JR Dumas on 20th Mar 2024

L'effet de priming (ou amorçage, en français) est une façon d’influencer la réaction à une situation au moyen d'associations implicites, inconscientes, qui modifient ou préparent notre perception. Induire volontairement des réponses spécifiques intéresse bien sûr de nombreux domaines d’interaction. Alors à quoi tient le priming, comment le rendre efficace... et quelles sont ses limites ?


Le priming consiste à exposer une personne à un stimulus en sachant que cela va modifier inconsciemment sa perception d'un stimulus ultérieur, et donc sa réponse à celui-ci. Ainsi, en amorçant sa future réponse à l’aide d’une situation ou d’une information qui va préparer son attention, on peut essayer de prévoir ou d’orienter subtilement les comportements et les décisions. Une manœuvre cognitive bien placée dans l’arsenal des techniques de nudging.

Pour le résumer de manière caricaturale, si l’on parle à quelqu’un d’un pull jaune puis qu’on lui demande de penser à un fruit, la banane ou le citron ont plus de chance de lui venir à l’esprit que le kiwi ou la cerise. Cette forme d'influence peut porter sur trois types de stimulations : sémantique (elle repose alors sur des associations de sens, par exemple entre des mots ou des images) ; affective (elle joue sur l’influence émotionnelle, par exemple à l’aide de couleurs ou de sons) ; ou encore perceptive (elle se concentre sur la dimension sensorielle, par exemple à travers l’ergonomie ou la texture).

Ce phénomène est notamment illustré dans un article fondateur de John Bargh et al. en 1996 [1]. Ses collègues et lui font trois expériences marquantes qui montrent la manière dont une situation donnée modifie insensiblement le comportement. Dans la première expérience, les participants d’abord exposés à des mots en lien avec la politesse ou l'agressivité interrompent ensuite différemment quelqu’un qui est occupé ; dans la seconde, les participants exposés à des suites de mots qui ont un lien avec la vieillesse ont quitté le couloir du laboratoire de recherche en marchant plus lentement que ceux exposés à d’autres séries de mots ; dans la troisième, les participants exposés à des images subliminales de personnes afro-américaines ont réagi de manière plus hostile à une situation ultérieure de frustration.

Ces expériences en milieu controlé soulèvent bien sûr de nombreuses questions, mais elles promettent aussi un vaste champ d'étude et d'action autour des contextes d'usage et d'interaction — de l'efficience des messages marketing au design cognitif d'interfaces, de l'expérience d'achat aux indices d'usage d'un objet (amorçage d'affordance). On peut même, dans certaines conditions, parler d’amorçage de soi-même (par exemple dans le cas de la création d'avatars : c'est l'effet Proteus).

La conception de nudges reposant sur l'amorçage est courante, mais reste complexe et fragile : ses effets sont de courte durée, ils sont difficiles à généraliser et ils sont sensibles aux facteurs psychologiques et culturels individuels. Quelles stratégies adopter alors pour aborder l'intégration de ces mécanismes ?

D'abord, viser la cohérence entre les stimuli utilisés et les résultats recherchés, pour une efficacité optimale. Ensuite, maintenir une approche subtile, pour éviter un amorçage intrusif, trop proche de la manipulation et qui va justement éveiller des raisonnements critiques. Également, approfondir la personnalisation des techniques vis-à-vis des préférences et des comportements, pour assurer la pertinence des approches et des réactions. Enfin, et surtout, considérer a fortiori les implications éthiques du priming, pour respecter l'autonomie et la transparence indispensables à une relation saine, loyale et riche avec les utilisateurs.


  1. BARGH, John, CHEN, Mark, et BURROWS, Lara. Automaticity of social behavior - Direct effects of trait construct and stereotype activation on action. Journal of personality and social psychology, 1996, vol.71, no.02, pp.230-244.