La santé et la techno-science

Au prisme du transhumanisme

Posted by JR Dumas on 19th Dec 2023

Le domaine de la santé n'échappe pas aux discours techno-optimistes : le transhumanisme, qui propose un projet technologique d'évolution de l'humain au-delà de sa condition biologique, influe ainsi sur les discours et représentations. Vecteur d’innovation et d’imaginaires, il dessine une société technicienne progressivement déshumanisée. Comment garder son énergie tout en se gardant de ses excès ?


Le transhumanisme veut dépasser l'indépassable : l'être humain lui-même. Opposant optimisme technologique et bioconservatisme, le sujet est sensible : si les discours transhumanistes ont d'abord relevé de la posture idéologique, à des époques où leur réalisation pratique était hors de portée, la convergence et la maturité des technologies actuelles les placent dans le champ du possible.

On peut d’abord, en signe d'ouverture, postuler une filiation humaniste au discours transhumaniste et accepter l'équivalence éthique et technique qui est faite, comme point de départ, entre soin et prolongement de la vie [1]. Les discours transhumanistes deviennent alors porteurs d’un certain optimisme, un nouvel élan contre le désenchantement de la société post-moderne.

Mais une fois cette équivalence posée, quoiqu’en forme de sophisme, le soin laisse petit à petit la place au prolongement de la vie. Ainsi, à partir de l’exemple très visible du recours aux prothèses physiques ou cérébrales comme moyen de soin, unanimement admis, d’autres perspectives de soin ou d’augmentation, plus éloignées du soin, deviennent désirables. Reste à accepter l'intégration du soin au corps ainsi transformé, mais aussi à étendre le statut de la médecine de la santé vers l’anthropotechnie — soit l’intervention sur le corps humain sans but médical.

Car le transhumanisme s’inscrit aussi dans un courant de pensée où possible équivaut à souhaitable. Son postulat de départ, bien au-delà des questions de santé, est en réalité que le corps humain est par nature diminué, donc indéfiniment perfectible : à l’imaginaire du handicap réparé se substitue alors celui d’un être hybride, une figure de cyborg aux déficiences sans cesse repoussées [2], sans limites éthiques. La porte s’ouvre aux interventions esthétiques et aux dispositifs implantés. Au-delà de l’éthique se pose aussi, à ce moment-là, la question de l’accessibilité de ces dispositifs et du différentiel qui se fait jour entre humains augmentés et reste de la population.

Désirabilité et élan créateur contre amoralité et absence de limites : comment, dans cette perspective, réconcilier la dynamique du transhumanisme et la perspective éthique ? La vision de la responsabilité telle que définie par Hans Jonas apporte un élément de réponse [3]. Selon lui, la notion traditionnelle de responsabilité, inscrite par nature dans le présent, n'est plus adaptée à une société dont l'action impacte le futur. Ayant démontré l'impératif indiscutable de protéger toute vie, il propose donc un principe de préservation interdisant toute technologie qui pourrait aboutir à une destruction ou à une dénaturation de l'humanité.

L'enjeu de la réflexion se déplace ainsi vers la compréhension collective de ce qui nous définit en tant qu'êtres humains, avant même de penser une évolution auto-déterminée. Cela dit, l'action et l'appropriation éthiques resteront à imaginer. Passer par la loi ne suffira pas — développement de la pensée critique, ouverture du débat public, éducation, voire militantisme : nous avons le choix des armes.


  1. TAÏEB, Emmanuel. Transhumanisme et santé parfaite. Quaderni, 2020, no.01, pp.125-135.

  2. ABRETEL, Alexandre. Corps reconfigurés ou corps augmentés ? Techno-imaginaire de la figure du cyborg chez les personnes en situation de handicap. Quaderni, 2022, no.105, pp.19-34.

  3. JONAS, Hans. Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique. Éd. Flammarion (coll. Champs), 1990 (1979).